Le surréalisme
Le mot "surréalisme" fait aujourd'hui partie du langage courant. Il illustre ce
qui n'est pas ordinaire, ce qui échappe à toute réalité, ou ce qui dépasse
l'entendement. Mais son sens s'est élargi, au point que nous en oublions son
origine. L'invention du mot surréalisme revient à Guillaume Apollinaire (1880-1918),
poète attentif aux avant-gardes artistiques et bénéficiant d'une aura auprès de
jeunes créateurs. André Breton, jeune homme de vingt et un ans, assiste le 24 juin
1917 à la première d'une pièce, Les Mamelles de Tirésias, que l'auteur, Apollinaire,
qu'il estime et avec lequel il correspond depuis deux ans, qualifie de "drame
(action) surréaliste" pour montrer qu'un sujet sérieux ("un homme qui fait des
enfants" car "on ne fait plus d'enfants en France parce qu'on n'y fait plus l'amour.")
peut-être traité sur le mode de l'humour. Il ne s'agit pas d'imiter la réalité,
mais de provoquer le rire en rompant avec la convention. Deux ans plus tard, Breton
fonde avec deux amis, Louis Aragon et Philippe Soupault, une revue, Littérature, que
rejoint bientôt Paul Eluard. L'équipe est séduite par un mouvement né en Suisse,
le turbulent dada, pour lequel Breton écrit en 1920 un article dans la revue NRF.
Il y reprend le mot surréalisme pour qualifier cette fois ce qui entoure la forme
originale d'écriture automatique qu'il explore avec ses compagnons. Ce groupe devient
surréaliste à part entière et rompt avec les dadaïstes en 1922.
Reprenant le procédé des dictionnaires, Breton définit le surréalisme dans le premier
Manifeste du surréalisme paru en octobre 1924. "En hommage à Guillaume Apollinaire,
qui venait de mourir (...), Soupault et moi nous désignâmes sous le nom de SURREALISME
le nouveau mode d'expression pure que nous tenions à notre disposition et dont il
nous tardait de faire bénéficier nos amis (...)
SURREALISME, n.m. Automatisme psychique pur par lequel on se propose d'exprimer,
soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel
de la pensée. Dictée de la pensée, en l'absence de tout contrôle exercé par la raison,
en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale.
Enc. Philos. Le surréalisme repose sur la croyance à la réalité supérieure de
certaines formes d'associations négligées jusqu'à lui, à la toute puissance du rêve,
au jeu désintéressé de la pensée. Il tend à ruiner définitivement tous les autres
mécanismes psychiques et à se substituer à eux dans la résolution des principaux
problèmes de la vie." Breton livre ensuite la liste de ceux qui, au présent ou au
passé, ont fait ou font "acte de SURREALISME ABSOLU". Dans les années 1920,
le surréalisme connaît un véritable "âge d’or" avec la parution d'oeuvres majeures,
l'exploration pionnière de domaines multiples entourant l'homme et sa capacité de
création, sa relation avec le monde et les sociétés. En 1929, des dissensions
internes et des désaccords motivent des départs. Le groupe accueille de nouveaux
membres et continue ses recherches. Après la Seconde Guerre mondiale, qui l'a dispersé,
il reprend ses activités jusqu'en 1969, date officielle de sa disparition après un
demi-siècle d'existence. Mais l'esprit surréaliste, ou plutôt le "comportement
surréaliste" pour reprendre Maurice Nadeau, a marqué durablement les mentalités
artistiques et collectives du XXe siècle.
Des prémices à la maturité (1916-1924)
Le surréalisme occupe une place à part dans l'Histoire. Par sa nature, il échappe
à tous les critères d'une étude "classique": sa complexité, sa dimension collective,
son rayonnement international unique, la pléiade d'écrivains et de peintre qui l'ont
animé et grandi avant de le quitter, la politique, son aspiration révolutionnaire,
son refus de céder aux modes, l'omniprésence et l'empreinte de Breton... Le temps
ne peut en effet s'appliquer à "ce qui ne fut ni système, ni école, ni mouvement
d'art ou de littérature, mais pure pratique d'existence".
Le surréalisme plonge cependant ses racines dans un événement très historique:
le cataclysme géographique et humain que fut la Première Guerre mondiale, qui
sacrifia une génération, laissant des plaies morales, physiques, économiques et
géographiques dont nous ressentons encore les effets. Après cette grande Guerre,
l'Europe vit une grande partie de ses frontières changer par les traités des
politiques, les peuples réclamer leur "droits à disposer d'eux-mêmes" comme le
proclamait Lénine, les femmes revendiquer des avancées sociales légitimes. La colère
se mit à monter, provoquant des grèves et des révoltes ouvrières, amenant aussi des
courants de pensée à s'interroger sur la part de l'homme qui avait pu entraîner une
telle catastrophe et à se déterminer sur une nouvelle aventure humaine.
Source : L’ABCdaire du Surréalisme, Pierre Chavot, Flammarion, 2001