Le Symbolisme
Le symbolisme est à décrire dans le contexte général des années 1880. Depuis une
une génération, l'esprit positiviste triomphe, y compris en art et en littérature.
Condamnés ou traités par la dérision, le mystère, l'inquiétude et la curiosité
métaphysique reviennent pourtant dans les années 70 avec la redécouverte de l'oeuvre
de Baudelaire et la traduction de grandes oeuvres étrangères comme la "Philosophie
de l'inconscient" de Hartmann (1842-1906) ou "Le monde comme volonté de
représentation" de Schopenhauer (1788-1860).
Pour les symbolistes, notre monde n'est pas réductible à la matière. Il est d'abord
fait des représentations que nous en avons, des signes dont nous le jalonnons.
A la limite il n'est qu'apparences vaines. D'où le regain chez certains d'une
sorte d'idéalisme comme chez Jules Laforgue, parfois teinté de mysticisme, comme
chez Stéphane Mallarmé ou Maurice Maeterlinck; chez d'autres d'une tendance aux
comportements plus anarchistes et parfois plus désespérés, comme le furent les
membres des petits cénacles décadents.
Sur le plan strictement poétique, trois préférences définissent l'esprit symboliste:
la préférence donnée à l'idée et au signe sur le réel ou la matière; celle de la
suggestion sur la représentation; celle enfin donnée à la musique ou à l'harmonie
sur la forme en tant que telle.
Dans les premiers recueils de Verlaine (1844-1896), des "Poèmes saturniens" (1866)
aux "Romances sans paroles" (1874), on verra à l'oeuvre ce parti pris constant
d'une esthétique de la suggestion et de l'impression contre toute espèce de
réalisme dans la figuration du Moi ou du monde. La notion de "transposition
symbolique", première chez Vigny et importante encore chez Baudelaire, n'a plus
guère cours dans sa poétique, tant le signe et le signifié, le symbole et le réel
y vivent d'une même et indissociable unité. Ici l'âme se fond dans le décor, là
le paysage tout entier investit les profondeurs du coeur sans que l'on sache
lequel des deux, de l'impersonnelle sensation ou de la suggestion descriptive,
est métaphore de l'autre.
Le primat absolu qu'il confère, dans son "Art poétique", à la "musique", et
qu'illustrent encore nombre de poèmes de "Sagesse" (1881) ou de "Jadis et naguère"
(1884), va dans le même sens d'une esthétique libérée des obsessions du vers et
de la forme en général. L'habilité de Verlaine à jouer des mètres impairs, des
gammes et des "nuances" sonores, relève pleinement de l'esprit "libertaire" de la
génération symboliste et impressionniste. Contemporain de l'impressionnisme
pictural des années 80, cet élégant impressionnisme littéraire fait d'ailleurs
de l'auteur des "Romances sans paroles" le parent des maîtres de l'impressionnisme
musical du moment, Debussy ou Fauré.
Nul doute que le "Maître" du courant symboliste, comme l'appelaient eux-mêmes ses
"disciples", réunis le mardi soir dans son appartement de la rue de Rome, ait été
Mallarmé (1842-1898). Lui-même, d'abord inspiré par Baudelaire et tenté un moment
par l'esthétique parnassienne, a porté à ses limites les exigences d'absolu
inhérentes à l'esprit symboliste.
Plus qu'aucun autre, Mallarmé a en effet pensé le monde en termes de représentation
et le langage en termes de signes. Le symbolisme, chez lui, s'égale à la conviction
austère que la seule mission du poète, loin de tout message et de toute fiction,
et de faire "figurer" l'absolu des choses dans un espace lui-même "épuré" des mots
et des vers. Le symbole coïncide encore chez lui avec la définition qu'il donnait
de l'acte poétique en général: "la merveille de transposer un fait de nature en
sa presque disparition vibratoire selon le jeu de la parole".
On conçoit qu'une telle poétique, exigeante ,repoussant sans cesse les limites de
l'écriture plus près du "blanc" et du silence, devait provoquer bien des confusions
chez les épigones ou vulgarisateurs du Maître, qui se pressaient dans son salon,
véritable carrefour de rencontre des décadents et des symbolistes de tous bords.
Se croisèrent là les théoriciens du vers libre comme René Ghil (1862-1925) et
Gustave Kahn (1859-1936), les "raffinés" comme Robert de Montesquiou (1885-1921)
ou Laurent Tailhade (1854-1919), les Américains Stuart Merril (1863-1915) et
Francis Vielé-Griffin (1864-1937), ou encore les Belges Georges Rodenbach (1855-
1898) et Maurice Maeterlinck.
L'aspiration du Maître vers "un acte scénique vide et abstrait en soi, impersonnel",
témoignait de la tendance fondamentale des symbolistes à désincarner ou à déréaliser
l'oeuvre dramatique. Sur les scènes parisiennes qui s'ouvrent alors à eux, le Théâtre
d'Art de Paul Fort (1872-1960) ou la Théâtre de l'Oeuvre de Lugné-Poe (1869-1940),
les nouveaux dramaturges comme Rémy de Gourmont et surtout Maeterlinck (avec "La
Princesse Maleine" puis "Pelléas et Mélisande", son chef d'oeuvre, en 1892)
installent une atmosphère neuve. A l'opposé des drames de la scène réaliste ou
des caricatures vaudevillesques, ils s'efforcent d'exprimer le mystère et, comme
disait le dramaturge belge, ces "puissances inconnues qui régissent le monde"
et que contaient déjà les mythes et légendes anciennes.
On pourra voir dans les pièces du cycle d' "Ubu", d'Alfred Jarry (1873-1907),
saturées de "symboles" énormes et anarchiques, une manière de réaction interne
contre ces aspirations à un théâtre idéal, ou de pont tendu vers l'avant-garde
de notre dramaturgie contemporaine.
Le symbolisme est à décrire dans le contexte général des années 1880. Depuis une
une génération, l'esprit positiviste triomphe, y compris en art et en littérature.
Condamnés ou traités par la dérision, le mystère, l'inquiétude et la curiosité
métaphysique reviennent pourtant dans les années 70 avec la redécouverte de l'oeuvre
de Baudelaire et la traduction de grandes oeuvres étrangères comme la "Philosophie
de l'inconscient" de Hartmann (1842-1906) ou "Le monde comme volonté de
représentation" de Schopenhauer (1788-1860).
Pour les symbolistes, notre monde n'est pas réductible à la matière. Il est d'abord
fait des représentations que nous en avons, des signes dont nous le jalonnons.
A la limite il n'est qu'apparences vaines. D'où le regain chez certains d'une
sorte d'idéalisme comme chez Jules Laforgue, parfois teinté de mysticisme, comme
chez Stéphane Mallarmé ou Maurice Maeterlinck; chez d'autres d'une tendance aux
comportements plus anarchistes et parfois plus désespérés, comme le furent les
membres des petits cénacles décadents.
Sur le plan strictement poétique, trois préférences définissent l'esprit symboliste:
la préférence donnée à l'idée et au signe sur le réel ou la matière; celle de la
suggestion sur la représentation; celle enfin donnée à la musique ou à l'harmonie
sur la forme en tant que telle.
Dans les premiers recueils de Verlaine (1844-1896), des "Poèmes saturniens" (1866)
aux "Romances sans paroles" (1874), on verra à l'oeuvre ce parti pris constant
d'une esthétique de la suggestion et de l'impression contre toute espèce de
réalisme dans la figuration du Moi ou du monde. La notion de "transposition
symbolique", première chez Vigny et importante encore chez Baudelaire, n'a plus
guère cours dans sa poétique, tant le signe et le signifié, le symbole et le réel
y vivent d'une même et indissociable unité. Ici l'âme se fond dans le décor, là
le paysage tout entier investit les profondeurs du coeur sans que l'on sache
lequel des deux, de l'impersonnelle sensation ou de la suggestion descriptive,
est métaphore de l'autre.
Le primat absolu qu'il confère, dans son "Art poétique", à la "musique", et
qu'illustrent encore nombre de poèmes de "Sagesse" (1881) ou de "Jadis et naguère"
(1884), va dans le même sens d'une esthétique libérée des obsessions du vers et
de la forme en général. L'habilité de Verlaine à jouer des mètres impairs, des
gammes et des "nuances" sonores, relève pleinement de l'esprit "libertaire" de la
génération symboliste et impressionniste. Contemporain de l'impressionnisme
pictural des années 80, cet élégant impressionnisme littéraire fait d'ailleurs
de l'auteur des "Romances sans paroles" le parent des maîtres de l'impressionnisme
musical du moment, Debussy ou Fauré.
Nul doute que le "Maître" du courant symboliste, comme l'appelaient eux-mêmes ses
"disciples", réunis le mardi soir dans son appartement de la rue de Rome, ait été
Mallarmé (1842-1898). Lui-même, d'abord inspiré par Baudelaire et tenté un moment
par l'esthétique parnassienne, a porté à ses limites les exigences d'absolu
inhérentes à l'esprit symboliste.
Plus qu'aucun autre, Mallarmé a en effet pensé le monde en termes de représentation
et le langage en termes de signes. Le symbolisme, chez lui, s'égale à la conviction
austère que la seule mission du poète, loin de tout message et de toute fiction,
et de faire "figurer" l'absolu des choses dans un espace lui-même "épuré" des mots
et des vers. Le symbole coïncide encore chez lui avec la définition qu'il donnait
de l'acte poétique en général: "la merveille de transposer un fait de nature en
sa presque disparition vibratoire selon le jeu de la parole".
On conçoit qu'une telle poétique, exigeante ,repoussant sans cesse les limites de
l'écriture plus près du "blanc" et du silence, devait provoquer bien des confusions
chez les épigones ou vulgarisateurs du Maître, qui se pressaient dans son salon,
véritable carrefour de rencontre des décadents et des symbolistes de tous bords.
Se croisèrent là les théoriciens du vers libre comme René Ghil (1862-1925) et
Gustave Kahn (1859-1936), les "raffinés" comme Robert de Montesquiou (1885-1921)
ou Laurent Tailhade (1854-1919), les Américains Stuart Merril (1863-1915) et
Francis Vielé-Griffin (1864-1937), ou encore les Belges Georges Rodenbach (1855-
1898) et Maurice Maeterlinck.
L'aspiration du Maître vers "un acte scénique vide et abstrait en soi, impersonnel",
témoignait de la tendance fondamentale des symbolistes à désincarner ou à déréaliser
l'oeuvre dramatique. Sur les scènes parisiennes qui s'ouvrent alors à eux, le Théâtre
d'Art de Paul Fort (1872-1960) ou la Théâtre de l'Oeuvre de Lugné-Poe (1869-1940),
les nouveaux dramaturges comme Rémy de Gourmont et surtout Maeterlinck (avec "La
Princesse Maleine" puis "Pelléas et Mélisande", son chef d'oeuvre, en 1892)
installent une atmosphère neuve. A l'opposé des drames de la scène réaliste ou
des caricatures vaudevillesques, ils s'efforcent d'exprimer le mystère et, comme
disait le dramaturge belge, ces "puissances inconnues qui régissent le monde"
et que contaient déjà les mythes et légendes anciennes.
On pourra voir dans les pièces du cycle d' "Ubu", d'Alfred Jarry (1873-1907),
saturées de "symboles" énormes et anarchiques, une manière de réaction interne
contre ces aspirations à un théâtre idéal, ou de pont tendu vers l'avant-garde
de notre dramaturgie contemporaine.