La Pléiade
Selon la mythologie, les Pléiades sont les sept filles d'Atlas, qui devinrent
constellation; de là le nom de Pléiade donné à un groupe de sept poètes
d'Alexandrie, sous Plotémée Philadelphe (3ème siècle av JC). Ronsard et ses amis
reprirent à leur compte cette appellation; l'histoire littéraire la consacra,
de sorte que l'on aurait tendance à voir dans la Pléiade française un groupe fixe,
sinon immuable, de sept poètes, travaillant en étroite connivence, animés de la
même inspiration, visant le même but: quelque chose comme une école ou un
mouvement.
La réalité est différente. L'appellation commune, pour désigner la génération
poétique qui se reconnait dans la Défense et Illustration de la langue française,
et dans les premières oeuvres de Du Bellay et de Ronsard, est celle de "Brigade":
troupe de jeunes auteurs enthousiastes, bientôt grossie d'une foule d'adeptes et
d'imitateurs. Dans la "Brigade", Ronsard se plut à distinguer une "Pléiade".
Mais il s'agit d'une simple liste, d'ailleurs variable.
L'essentiel est le culte commun des Lettres antiques; la volonté de lutter contre
le "monstre Ignorance", de rénover les formes et de réactiver les mythes, notamment
ceux qui concernent la poésie elle-même, placée à part et au-dessus de tous les
genres d'écrire; le goût d'une écriture savante, sinon érudite ou obscure, nourrie
de la libre imitation des Anciens et des modernes (néo-latins et italiens).
On s'entre-imite d'ailleurs beaucoup, dans la Brigade; la plupart en viendront
à imiter surtout Ronsard. Mais il s'agit toujours, conformément à l'esprit de la
Défense et Illustration... (sinon au détail de ses outrances), de faire de la
poésie la clé de voûte de la culture.
Dans l'imitation, des poètes se prennent d'amour pour d'autres poètes, dans une
autre langue; ils les "dévorent", traduisant leurs mots, démarquant leurs
expressions, s'efforçant même de reproduire leurs cadences. Il ne s'agit pas
d'organiser par-delà les siècles un harmonieux concert d'esprits raisonnables,
de "classiques". Ce qui frappe au contraire, dans l'entreprise de la Pléiade,
c'est le souci de la variété, qui commande d'explorer tous les genres, tous les
styles (haut, moyen et bas), et surtout de ne jamais s'en tenir à l'imitation d'un
seul auteur, fût-il aussi prestigieux que Virgile. On mélange, on avoue certains
emprunts, on en dissimule d'autres, on exploite en même temps les ressources du
grec et du latin, du latin antique et du néo-latin, de l'italien, etc... Il y a
du jeu dans une telle démarche, et toujours une jubilation, un appétit qui, chez
certains, ne va pas sans angoisse: le poète de la Pléiade est toujours en train
de s'approprier le texte d'autrui, de s'en emparer pour le re-créer. Le même et
l'autre se confondent-ils, ou demeurent-ils distincts? Le poème nouveau sera-t-il
uni, unique, ou bien divers, dispersé? Qui suis-je, moi qui parle ainsi, voix
grossie de toutes les autres voix? Seule réponse: "Je suis Ronsard, et cela te
suffise"... Tous n'auront pas cet orgeuil fou.
L'inspiration, la "fureur" divine, chez ces poètes qui sont tous des bourreaux de
travail et ne se fient nullement à la seule nature, est en quelque sorte la
métaphore de leur amour de la langue et du monde fantastique que la langue,
arrachée à son usage ordinaire, permet de créer: bien plus que leurs prédécesseurs,
les poètes de la Pléiade s'abandonnent à l'imaginaire.
La Pléiade, selon l'expression de Guy Demerson, est un mythe; mythe créé par ces
poètes - par le premier d'entre eux - pour entretenir une ambition commune.
A l'origine, deux groupes, celui du Collège de Coqueret (Ronsard, Baïf, Du Bellay,
sous la férule de Dorat), celui du Collège de Boncourt (Jodelle, Belleau, La Péruse,
suivent les cours de Muret). La fusion eut lieu en 1553, lors de la représentation
de Cléopâtre captive, de Jodelle. La Pléiade comprit Ronsard, Baïf, Du Bellay;
Jodelle, La Péruse, remplacé par Belleau après sa mort précoce. Elle annexa
Pontus de Tyard, héritier platonicien de l'école lyonnaise, et Peletier du Mans,
l'initiateur de Ronsard. Tardivement, Ronsard inséra dans la liste son vieux
maître, Jean Dorat, poète néo-latin pourtant. Mais peu importe. Ce qui compte,
c'est la richesse du vivier poétique. Dans la "Brigade", on trouve Grévin, Magny,
Denisot, La Taille, Des Autels... et beaucoup d'autres.
Chaque poète donne une inflexion particulière à l'ambition initiale. Ronsard
acquiert très vite une stature écrasante, qui porte ombrage à ses rivaux. La
doctrine varie suivant les genres abordés. Enfin, l'Histoire s'en mêle: les guerres
de Religion vont diviser les poètes et transformer l'idée qu'ils se font du
"métier poétique".
En rendant à chacun sa trajectoire personnelle, on ne perdra pas de vue ce qu'ils
ont en commun: la plus haute idée de la poésie, "oeuvre à part". Qu'ils s'en
déclarent capables ou, au contraire, indignes, cette ambition les obsède. Ce qui
est en jeu, c'est la gloire, but suprême de leur désir, la gloire qui confère
l'immortalité.
Selon la mythologie, les Pléiades sont les sept filles d'Atlas, qui devinrent
constellation; de là le nom de Pléiade donné à un groupe de sept poètes
d'Alexandrie, sous Plotémée Philadelphe (3ème siècle av JC). Ronsard et ses amis
reprirent à leur compte cette appellation; l'histoire littéraire la consacra,
de sorte que l'on aurait tendance à voir dans la Pléiade française un groupe fixe,
sinon immuable, de sept poètes, travaillant en étroite connivence, animés de la
même inspiration, visant le même but: quelque chose comme une école ou un
mouvement.
La réalité est différente. L'appellation commune, pour désigner la génération
poétique qui se reconnait dans la Défense et Illustration de la langue française,
et dans les premières oeuvres de Du Bellay et de Ronsard, est celle de "Brigade":
troupe de jeunes auteurs enthousiastes, bientôt grossie d'une foule d'adeptes et
d'imitateurs. Dans la "Brigade", Ronsard se plut à distinguer une "Pléiade".
Mais il s'agit d'une simple liste, d'ailleurs variable.
L'essentiel est le culte commun des Lettres antiques; la volonté de lutter contre
le "monstre Ignorance", de rénover les formes et de réactiver les mythes, notamment
ceux qui concernent la poésie elle-même, placée à part et au-dessus de tous les
genres d'écrire; le goût d'une écriture savante, sinon érudite ou obscure, nourrie
de la libre imitation des Anciens et des modernes (néo-latins et italiens).
On s'entre-imite d'ailleurs beaucoup, dans la Brigade; la plupart en viendront
à imiter surtout Ronsard. Mais il s'agit toujours, conformément à l'esprit de la
Défense et Illustration... (sinon au détail de ses outrances), de faire de la
poésie la clé de voûte de la culture.
Dans l'imitation, des poètes se prennent d'amour pour d'autres poètes, dans une
autre langue; ils les "dévorent", traduisant leurs mots, démarquant leurs
expressions, s'efforçant même de reproduire leurs cadences. Il ne s'agit pas
d'organiser par-delà les siècles un harmonieux concert d'esprits raisonnables,
de "classiques". Ce qui frappe au contraire, dans l'entreprise de la Pléiade,
c'est le souci de la variété, qui commande d'explorer tous les genres, tous les
styles (haut, moyen et bas), et surtout de ne jamais s'en tenir à l'imitation d'un
seul auteur, fût-il aussi prestigieux que Virgile. On mélange, on avoue certains
emprunts, on en dissimule d'autres, on exploite en même temps les ressources du
grec et du latin, du latin antique et du néo-latin, de l'italien, etc... Il y a
du jeu dans une telle démarche, et toujours une jubilation, un appétit qui, chez
certains, ne va pas sans angoisse: le poète de la Pléiade est toujours en train
de s'approprier le texte d'autrui, de s'en emparer pour le re-créer. Le même et
l'autre se confondent-ils, ou demeurent-ils distincts? Le poème nouveau sera-t-il
uni, unique, ou bien divers, dispersé? Qui suis-je, moi qui parle ainsi, voix
grossie de toutes les autres voix? Seule réponse: "Je suis Ronsard, et cela te
suffise"... Tous n'auront pas cet orgeuil fou.
L'inspiration, la "fureur" divine, chez ces poètes qui sont tous des bourreaux de
travail et ne se fient nullement à la seule nature, est en quelque sorte la
métaphore de leur amour de la langue et du monde fantastique que la langue,
arrachée à son usage ordinaire, permet de créer: bien plus que leurs prédécesseurs,
les poètes de la Pléiade s'abandonnent à l'imaginaire.
La Pléiade, selon l'expression de Guy Demerson, est un mythe; mythe créé par ces
poètes - par le premier d'entre eux - pour entretenir une ambition commune.
A l'origine, deux groupes, celui du Collège de Coqueret (Ronsard, Baïf, Du Bellay,
sous la férule de Dorat), celui du Collège de Boncourt (Jodelle, Belleau, La Péruse,
suivent les cours de Muret). La fusion eut lieu en 1553, lors de la représentation
de Cléopâtre captive, de Jodelle. La Pléiade comprit Ronsard, Baïf, Du Bellay;
Jodelle, La Péruse, remplacé par Belleau après sa mort précoce. Elle annexa
Pontus de Tyard, héritier platonicien de l'école lyonnaise, et Peletier du Mans,
l'initiateur de Ronsard. Tardivement, Ronsard inséra dans la liste son vieux
maître, Jean Dorat, poète néo-latin pourtant. Mais peu importe. Ce qui compte,
c'est la richesse du vivier poétique. Dans la "Brigade", on trouve Grévin, Magny,
Denisot, La Taille, Des Autels... et beaucoup d'autres.
Chaque poète donne une inflexion particulière à l'ambition initiale. Ronsard
acquiert très vite une stature écrasante, qui porte ombrage à ses rivaux. La
doctrine varie suivant les genres abordés. Enfin, l'Histoire s'en mêle: les guerres
de Religion vont diviser les poètes et transformer l'idée qu'ils se font du
"métier poétique".
En rendant à chacun sa trajectoire personnelle, on ne perdra pas de vue ce qu'ils
ont en commun: la plus haute idée de la poésie, "oeuvre à part". Qu'ils s'en
déclarent capables ou, au contraire, indignes, cette ambition les obsède. Ce qui
est en jeu, c'est la gloire, but suprême de leur désir, la gloire qui confère
l'immortalité.