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    Le décadentisme

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    Le décadentisme Empty Le décadentisme

    Message par Admin Ven 5 Juin 2009 - 19:31

    Le Décadentisme


    La France fait à la fin du XIXème siècle son véritable apprentissage de la République. Or cet apprentissage - malgré les fortes secousses qu'occasionnent l'agitation boulangiste (1886-1889), les scandales financiers et politiques (Panama 1892), les menées anarchistes (à partir de 1890) et enfin l'Affaire Dreyfus (1894-1906) - s'effectue dans un climat économique plutôt favorable à une bonne expansion. Il est vrai que les conquêtes coloniales apportent de forts dividendes, que la production industrielle s'accroît et que le talent de ses savants et de ses ingénieurs - automobile, métropolitain, cinéma - donne un nouveau lustre à la mère des arts soudain régénérée en muse des techniques de pointe.

    Ajoutons à cela les réalisations dans le domaine de l'éducation (lois Jules Ferry, 1881-1882), la stabilité de la monnaie assise sur un accroissement spectaculaire de la fortune nationale en or, le rétablissement des relations cordiales avec deux puissants Etats européens: le Russie (1894) et l'Angleterre (1904). En un mot, la France isolée et humiliée de 1871 a laissé place à une France forte et fière, partageant avec les Etats-Unis d'Amérique et la Grande-Bretagne les palmes de la deuxième révolution industrielle.

    Mais sous ce vernis, que de fêlures et de brisures! Un sourd mécontentement dans les couches prolétaires annonce des débordements révolutionnaires; un puissant et profond sentiment nationaliste demeure enraciné dans la chair des "patriotes", qui gardent le regard braqué sur la "ligne bleue des Vosges"...
    Comment se situe la communauté littéraire face à ces transformations et à l'établissement d'une nouvelle organisation politique, économique, sociale?

    Certains plongent dans cette civilisation en fermentation, soit pour la louer, soit pour en dénoncer les vices. D'autres, nostalgiques, veulent rester fidèles à un ordre de valeurs et de préoccupations qui leur paraissent victimes du matérialisme ambiant: romantiques dans l'âme, ils abhorrent la technique et rêvent de beauté pure. Il en est enfin de plus ambitieux qui annoncent un nouveau monde, qui se font prophètes d'un XXème siècle encore en gésine.


    1880: le scientisme paraît être devenu la philosophie unique et uniforme de la France, et le matérialisme, sa métaphysique. Renan et Taine dominent la cité intellectuelle. Qui peut en effet remettre aisément en question des principes aussi forts que ceux qui fondent la démarche du criticisme historique? Qui peut dédaigner l'esprit scientifique, l'analyse critique, en un mot le rationalisme?

    Nombreux seront d'ailleurs les disciples, les épigones, les adeptes du scientisme et du rationalisme à la fin du XIXème siècle et pendant la première partie du XXème siècle: Henri Poincaré, le mathématicien; Théodule Ribot, le psychologue; Ernest Lavisse, l'historien; Emile Durkheim, le sociologue; Lévy-Bruhl, l'anthropologue; Alfred Loisy, l'historien des religions.

    Cependant quelque chose a déjà craqué dans le bel édifice du rationalisme. La génération des intellectuels qui entre en lice vers 1880-1885 étouffe dans cet univers glacé où l'on ne fait pas de place aux aspirations spirituelles, où est négligée toute dimension métaphysique. Barrey d'Aurevilly publie à partir de 1873 "Les Philosophes et les Ecrivains religieux". Villiers de l'Isle-Adam critique ouvertement la science. Léon Bloy fulmine et vitupère...
    Un philosophe, Henri Bergson (1859-1941), propose avec son "Essai sur les données immédiates de la conscience" (1889) une authentique révision des rapports de l'homme et du monde. Faisant le procès des conceptions positivistes qui réduisent la vie psychologique à des relations strictement analysables, il prétend saisir la véritable communication de la pensée et de la réalité, dans une forme d'union immédiate et ininterrompue du Moi et du Monde. Bergson approfondit ses vues dans de nombreux ouvrages qui aboutiront à l'épanouissement d'une morale et d'une psychologie laissant libre cours à "l'élan vital" et à "l'énergie spirituelle".


    Le fantastique onirique de Maupassant, l'érotisme cruel d'Octave Mirbeau, la lucidité désabusée de Jules Renard, les reconstructions préhistoriques de Rosny illustrent ainsi chez des écrivains réputés proches du naturalisme la volonté de rechercher de nouvelles voies. Les allers et retours d'une théorie à une autre ne sont d'ailleurs pas rares. L'exemple le plus significatif est celui de Paul Adam, qui, en 1885, publie "Chair molle", poussant le naturalisme à son extrême limite, et en 1886, "Le Thé chez Miranda" (avec pour co-auteur Jean Moréas), où le jargon symboliste fleurit d'abondance... En fait, ce qui est en jeu, c'est, plus que l'appartenance à telle ou telle école, le travail romanesque lui-même, ses techniques, ses thèmes, ses sources et objectifs.

    Dans la technique, apparait et se développe la narration subjective, qui débouche naturellement sur le monologue intérieur. Edouard Dujardin exploite cette forme d'écriture dans "Les Lauriers sont coupés" (1887). L'aventure intérieure commence à prévaloir sur le récit d'une vie. Les événements sont vus à partir de la conscience qui les enregistre, les décors sont suggérés à travers un regard au lieu d'être décrits: l'art de Barrès s'épanouira dans cette transformation du regard. La passion de l'analyse psychologique s'introduit à travers la mise au point de ces nouvelles techniques: c'est ce qui fera la fortune littéraire d'un Paul Bourget ou d'un Pierre Loti.
    Dans les thèmes, une évolution se produit également. Le primat de la subjectivité s'imposant, on s'oriente vers des situations mettant les nerfs à vif. Cela explique en partie l'attrait exercé sur ces romanciers par toutes les formes d'engagement individualiste: anarchisme, révolte, mysticisme, exotisme.


    L'idée de décadence, que l'on associe volontiers à cette atmosphère "fin de siècle", apparait plus tôt qu'on ne le croit. Les hommes du second Empire parlaient déjà de déclin. La guerre de 1870 et les pénibles événements de la Commune ont souvent été présentés comme la fin du monde, d'une civilisation, chez de nombreux écrivains et artistes qui produisent l'essentiel de leur oeuvre dans les années 1840-1870.

    Toutefois, malgré cette nombreuse et prestigieuse ascendance, il faut bien reconnaitre que le mouvement décadent ne prend vraiment conscience de lui-même qu'avec la publication, en 1883, des "Essais de psychologie contemporaine" consacrés par Paul Bourget à Baudelaire, Taine, Renan et Stendhal. L'auteur y précise les caractéristiques de la "névrose" dont sont atteints les maîtres contemporains, selon lui inquiets, nerveux, portés à la mélancolie et au pessimisme.
    Ces essais de psychologie séduisent la jeunesse, qui y trouve un message adapté à son sentiment de déliquescence. Jules Laforgue est, avec Tristan Corbière et Charles Cros, le meilleur représentant de cette désespérance teintée d'humour et volontiers provocatrice.

    1884 marque une date dans cette jeune histoire de la Décadence. Paraissent "Le Crépuscule des Dieux", d'Elémir Bourges, et "A rebours" de J.K. Huysmans. Le roman de Bourges, à la fois wagnérien et élisabéthain, s'adresse à un public supérieurement cultivé. Le héros de "A rebours", des Esseintes, incarne l'insatisfaction de vivre, la lassitude d'y remédier, la dandysme et ses mornes échecs, la déréliction absolue et tragique. "A rebours" devient la bible de ceux qui, à travers ce prisme, se découvrent désormais "décadents".

    Un an après sa publication, en 1885, paraissent "Les Déliquescences d'Adoré Floupette", d'Henri Beauclair et Gabriel Vicaire, qui, en tournant les décadents en dérision, font davantage apparaître leurs tics, pesimisme morbide, langueur affectée, abus en tous genres, mais aussi leurs audaces de style aussi bien en prose qu'en poésie. Paul Adam, Moréas excellent dans les recherches les plus absconses. Le petit "Glossaire pour servir à l'intelligence des auteurs décadents et symbolistes" (1888), signé Jacques Plowert (pseudonyme de Paul Adam et Félix Fénéon), donne une idée de cette hyper-préciosité décadente.
    La notoriété atteinte, les décadents commencent à se diviser en chapelles, par revues interposées: La Plume, Le Décadent, La Vogue, etc... Derrière Moréas se forme alors une phalange qui veut substituer le mot de Symbolisme à celui de Décadence.
    La recherche littéraire permet aujourd'hui de substituer, à l'idée jusqu'ici admise que la Décadence n'était qu'un sous-produit du Symbolisme, celle qui consiste au contraire à faire du Symbolisme un épiphénomène de la Décadence. On commetrait une grave erreur de perspective en se bornant à considérer la Décadence comme un simple avatar du mouvement poétique: en réalité, cette même décadence constitue le dénominateur commun de toutes les tendances littéraires qui se manifestent dans les vingt dernières années de ce siècle.

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